Application de l’article R.111-2 du Code de l'Urbanisme - Note sous l’arrêt CE 26 juin 2019 n°412429

RESUME : Par un arrêt du 26 juin 2019, le Conseil d’Etat a complété le corpus jurisprudentiel autour des dispositions de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme en considérant expressément que « le permis de construire ne peut être refusé que si l'autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu'il n'est pas légalement possible, au vu du dossier et de l'instruction de la demande de permis, d'accorder le permis en l'assortissant de prescriptions spéciales »
 
L’article R.111-2 du Code de l’Urbanisme constitue une partie du Règlement National d’Urbanisme applicable y compris en présence d’un Plan Local d’Urbanisme. Il prévoit que « Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. »[1] 

La formulation de ces dispositions pourrait laisser penser qu’il appartient au pétitionnaire de proposer des prescriptions spéciales permettant de répondre aux potentielles atteintes à la sécurité ou à la salubrité publique. Plus encore ces dispositions, laissent entrevoir, à première lecture, qu’une autorisation d’urbanisme ne peut pas être accordée sans prescriptions spéciales en l’hypothèse d’un risque pesant sur la sécurité ou la salubrité publique.

Par un arrêt catégorisé en A qui sera publié au LEBON, le Conseil d’Etat clarifie la lecture à opérer de ces dispositions et propose une inversion de paradigme.


En l’espèce, par un arrêté du 30 novembre 2010, le maire de Tanneron a refusé de délivrer un permis de construire une maison d'habitation et une piscine, en se fondant sur les risques élevés d'incendie de forêt dans le secteur concerné, qui ont notamment conduit le service d'incendie et de secours à rendre un avis défavorable sur le projet en cause.

Par un jugement du 2 août 2012, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande du pétitionnaire tendant à l'annulation de cet arrêté. Par un arrêt du 12 mai 2017, contre lequel le pétitionnaire se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par ce dernier contre le jugement du tribunal administratif. C’est en l’état que s’est présentée l’affaire devant les juges du Palais Royal.


Lorsqu’un refus d’autorisation d’urbanisme est opéré sur le fondement des dispositions de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme, le juge administratif exerce un contrôle normal[2]. Il apprécie par ailleurs souverainement les faits susceptibles de fonder un refus de permis de construire au regard des dispositions de l’article R 111-2 précitées[3].

A la différence du contrôle restreint opéré lorsque le moyen tiré du non-respect de l’article R.111-2 est soulevé par un requérant[4], le juge administratif bénéficie là d’une véritable marge d’appréciation.
 
Déjà, le Conseil d’Etat estimait que l’autorisation d’urbanisme peut être admise même en présence d’un risque dès lors que le permis de construire est assorti de prescriptions techniques adéquates[5].
 
Plus récemment, la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux a courageusement considéré qu’une commune ne pouvait valablement refuser le droit de reconstruire à l’identique en se fondant sur les dispositions de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme si le risque, bien qu’avéré et ayant entrainé la destruction du bien dont il était demandé reconstruction, pouvait « être paré par des dispositions ponctuelles »[6].

Le 26 juin 2019, le Conseil d’Etat, par ce qui pourra être qualifié de considérant de principe précise que: 

« lorsqu'un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l'autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu'il n'est pas légalement possible, au vu du dossier et de l'instruction de la demande de permis, d'accorder le permis en l'assortissant de prescriptions spéciales qui, sans apporter au projet de modification substantielle nécessitant la présentation d'une nouvelle demande, permettraient d'assurer la conformité de la construction aux dispositions législatives et réglementaires dont l'administration est chargée d'assurer le respect. »[7]

En reformulant l’article R.111-2 du code de l’urbanisme par la suppression de la négation, le Conseil d’Etat semble faire savoir qu’il revient aux autorités chargées d’instruire les demandes d’autorisation d’urbanisme de démontrer que le risque justifiant le refus est tel qu’aucune prescription spéciale ne peut y parer.

Si le Conseil d’Etat rejette finalement le pourvoi, il n’en demeure pas moins que la lecture opérée de l’article R.111-2 semble plus exigeante à l’égard de l’administration qui souhaiterait se fonder sur ces dispositions pour refuser un permis. 
 
 

 

[1] Article R.111-2 du code de l’urbanisme

[2] En ce sens : CE 10 avril 1974 Min. Aménagement territorial c/ Bole, n° 92821

[3] En ce sens : CE 19 novembre 1999 Cne de Port-la-Nouvelle n° 190304 Voir également  : CE 6 novembre 2006 Assoc. pour la préservation des paysages exceptionnels du Mezenc n° 281072

[4] Voir par exemple : CE 25 octobre 1985 Poinsignon n° 39288

[5] En ce sens : CE Avis 23 février 2005 Mme Hutin n° 272170 ou encore CAA Lyon 2 février 2007 Préfet de Savoie c/ Cne de Beaufort-sur-Doron n° 02LY02286

[6] En ce sens : CAA BORDEAUX 27 septembre 2018 Commune de Guéthary n°16BX03937

[7] Voir : CE 26 juin 2019 n°412429


par AVALLONE Sébastien 2 juillet 2025
Par un arrêt rendu le 30 juin 2025 n° 494573,, le Conseil d’Etat opère un revirement de jurisprudence en forme d'importante clarification en matière d’appréciation du respect des délais de recours gracieux. Il estime que : « Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi. Il en va de même pour apprécier si un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, a pour effet de conserver ce délai. » Par cette évolution jurisprudentielle, le Conseil d’État a tranché une incertitude persistante : lorsqu’un recours gracieux est formé, la date d’expédition – et non celle de réception – doit être prise en compte pour apprécier s’il interrompt valablement le délai de recours contentieux. Cette position aligne le régime du recours administratif préalable sur celui du recours contentieux, où le cachet de la poste fait foi. Elle marque une volonté de protection accrue du droit au recours, au prix d’un nouveau déséquilibre en défaveur de la sécurité juridique. Un bouleversement concret pour la purge des recours Jusqu’alors, un recours gracieux reçu hors délai n’avait pas d’effet interruptif, ce qui contribuait à sécuriser les autorisations d’urbanisme, notamment au moment de la délivrance du certificat de non-recours. Ce repère est désormais fragilisé. Désormais, un recours expédié dans le délai mais reçu après son expiration prorogera valablement le délai contentieux. En pratique, cela signifie que les porteurs de projet, les notaires et les services instructeurs ne peuvent plus se fier uniquement à la date de réception pour évaluer la purge. Or, l’aléa inhérent aux délais d’acheminement postal rend cette évaluation délicate avec certitude. Une incertitude qui s’ajoute à d’autres. Cette évolution vient accroître une insécurité juridique déjà alimentée par plusieurs facteurs bien connus : • les demandes d’aide juridictionnelle en cours au moment de l’affichage ou de la délivrance du certificat de non-recours, • les affichages irréguliers de permis de construire, souvent mal identifiés, Ces éléments, cumulés, rendent la tâche des notaires plus complexe et alimentent les inquiétudes des professionnels, confrontés à la nécessité de lancer la commercialisation dans un contexte juridique incertain. Si la décision du Conseil d’État repose sur une logique juridique cohérente — prise en compte des disparités territoriales, incertitude des délais postaux —, elle déséquilibre davantage les relations entre requérants potentiels et bénéficiaires de permis de construire. Elle consacre la prépondérance du droit au recours sur le droit à la sécurité juridique, ce qui constitue un tournant défavorable pour les professionnels de l’immobilier et les collectivités. Certains confrères se réjouiront sans doute de ne plus voir leurs recours gracieux écartés pour cause d’envoi à la dernière minute. Mais cela n’allège en rien la pression liée au respect des délais. En effet, si l’on peut désormais expédier un recours jusqu’à la dernière heure via le site de La Poste, l’angoisse du délai manqué reste intacte. Les solutions de repli existantes — dépôt en main propre, ou à défaut recours contentieux via Télérecours — conservent leur pertinence. Il est permis de s’interroger : une solution plus nuancée, tenant compte du délai raisonnable d’acheminement, n’aurait-elle pas permis un équilibre plus juste ? Enfin, cette incertitude pourrait n’être que temporaire. Le Sénat examine actuellement une proposition de loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement. Selon les arbitrages retenus, notamment quant à la non-prorogation des délais de recours contentieux par les recours gracieux en matière d’autorisations d’urbanisme, les effets de cette jurisprudence pourraient être neutralisés par le législateur à brève échéance. SA/JB
10 octobre 2024
Nous sommes particulièrement fiers d’accueillir au sein de notre équipe deux nouveaux maillons. 🎉🎉🎉