CONSTRUCTION: Engagement de la responsabilité du constructeur après le délai décennal

La Cour de Cassation, dans un arrêt du 5 janvier 2017 précise encore un peu plus la possibilité d'engager la responsabilité constructeur au delà du délai de garantie décennale. 

Dans cet arrêt, cassant la décision rendue par la Cour d'Appel d'Orléans du 11 mai 2015, la Haute juridiction précise que: 

"Alors que, le constructeur est contractuellement tenu à l’égard du maître de l’ouvrage de sa faute dolosive lorsque, de propos délibéré, même sans intention de nuire, il a violé, par dissimulation ou par fraude, ses obligations contractuelles ; que la cour a expressément retenu que si la société Coopérative de production d’HLM d’Indre et Loire, exerçant sous l’enseigne Maison d’en France, avait rempli sa mission de surveillance et de contrôle, elle aurait dû s’apercevoir de l’absence de ferraillage et qu’il aurait été alors possible d’y remédier ; qu’en retenant la faute dolosive du constructeur quand elle avait ainsi constaté que le constructeur ne savait pas que l’entreprise de maçonnerie n’avait pas suffisamment ferraillé les fondations, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales s’évinçant de ses propres constatations, a violé l’article 1147 du code civil ;"
(Cass. 3e Civ. 5 janvier 2017 n°15-22.772)


Il résulte de cet attendu que la faute dolosive du constructeur constitue une exception à l'article 1792-4-1 du code civil selon lequel: "Toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4  du présent code est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l'article 1792-3, à l'expiration du délai visé à cet article."

La Cour en profite pour illustrer une nouvelle fois les agissements pouvant constituer la faute dolosive du constructeur. Si cette jurisprudence permet de donner un espoir supplémentaire aux justiciables qui subissent après le délai décennal des dommages résultant d'une malfaçon, reste à pouvoir démontrer le caractère intentionnel de la réticence. 

En effet, dans une décision d'octobre 2016, la Cour de Cassation a également indiqué: 

"QUE le constructeur, nonobstant la forclusion décennale, est sauf faute extérieure au contrat, contractuellement tenu à l'égard du maître de l'ouvrage de sa faute dolosive lorsque, de propos délibéré même sans intention de nuire, il viole par dissimulation ou par fraude, ses obligations contractuelles ; qu'en se bornant à affirmer « qu'il [n'était] pas sérieux de prétendre que la société DESVAUX, professionnelle de ce type d'ouvrage, aurait pu méconnaître une défaillance aussi systématique des appuis de poutres rayonnantes » (arrêt p. 7), sans relever ni la dissimulation ni la fraude nécessaires pour caractériser le dol qu'elle prétendait retenir à la charge du constructeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil.

Qu'il appartient au demandeur à l'action d'établir la fraude ou la dissimulation, laquelle ne peut être présumée ; qu'en se bornant à affirmer « qu'il [n'était] pas sérieux de prétendre que la société DESVAUX, professionnelle de ce type d'ouvrage, aurait pu méconnaître une défaillance aussi systématique des appuis de poutres rayonnantes » (arrêt p. 7), la cour d'appel a retenu l'existence a priori d'un soupçon de fraude ou de dissimulation ; qu'en statuant ainsi, quand il appartenait au maître d'ouvrage, demandeur à l'action, d'établir la fraude ou la dissimulation qui ne peuvent être présumées, la cour d'appel a méconnu les règles de la preuve et violé l'article 1315 du code civil."
(Cass. 3e Civ. 27 octobre 2016 n°15-22.920) 

par AVALLONE Sébastien 2 juillet 2025
Par un arrêt rendu le 30 juin 2025 n° 494573,, le Conseil d’Etat opère un revirement de jurisprudence en forme d'importante clarification en matière d’appréciation du respect des délais de recours gracieux. Il estime que : « Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi. Il en va de même pour apprécier si un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, a pour effet de conserver ce délai. » Par cette évolution jurisprudentielle, le Conseil d’État a tranché une incertitude persistante : lorsqu’un recours gracieux est formé, la date d’expédition – et non celle de réception – doit être prise en compte pour apprécier s’il interrompt valablement le délai de recours contentieux. Cette position aligne le régime du recours administratif préalable sur celui du recours contentieux, où le cachet de la poste fait foi. Elle marque une volonté de protection accrue du droit au recours, au prix d’un nouveau déséquilibre en défaveur de la sécurité juridique. Un bouleversement concret pour la purge des recours Jusqu’alors, un recours gracieux reçu hors délai n’avait pas d’effet interruptif, ce qui contribuait à sécuriser les autorisations d’urbanisme, notamment au moment de la délivrance du certificat de non-recours. Ce repère est désormais fragilisé. Désormais, un recours expédié dans le délai mais reçu après son expiration prorogera valablement le délai contentieux. En pratique, cela signifie que les porteurs de projet, les notaires et les services instructeurs ne peuvent plus se fier uniquement à la date de réception pour évaluer la purge. Or, l’aléa inhérent aux délais d’acheminement postal rend cette évaluation délicate avec certitude. Une incertitude qui s’ajoute à d’autres. Cette évolution vient accroître une insécurité juridique déjà alimentée par plusieurs facteurs bien connus : • les demandes d’aide juridictionnelle en cours au moment de l’affichage ou de la délivrance du certificat de non-recours, • les affichages irréguliers de permis de construire, souvent mal identifiés, Ces éléments, cumulés, rendent la tâche des notaires plus complexe et alimentent les inquiétudes des professionnels, confrontés à la nécessité de lancer la commercialisation dans un contexte juridique incertain. Si la décision du Conseil d’État repose sur une logique juridique cohérente — prise en compte des disparités territoriales, incertitude des délais postaux —, elle déséquilibre davantage les relations entre requérants potentiels et bénéficiaires de permis de construire. Elle consacre la prépondérance du droit au recours sur le droit à la sécurité juridique, ce qui constitue un tournant défavorable pour les professionnels de l’immobilier et les collectivités. Certains confrères se réjouiront sans doute de ne plus voir leurs recours gracieux écartés pour cause d’envoi à la dernière minute. Mais cela n’allège en rien la pression liée au respect des délais. En effet, si l’on peut désormais expédier un recours jusqu’à la dernière heure via le site de La Poste, l’angoisse du délai manqué reste intacte. Les solutions de repli existantes — dépôt en main propre, ou à défaut recours contentieux via Télérecours — conservent leur pertinence. Il est permis de s’interroger : une solution plus nuancée, tenant compte du délai raisonnable d’acheminement, n’aurait-elle pas permis un équilibre plus juste ? Enfin, cette incertitude pourrait n’être que temporaire. Le Sénat examine actuellement une proposition de loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement. Selon les arbitrages retenus, notamment quant à la non-prorogation des délais de recours contentieux par les recours gracieux en matière d’autorisations d’urbanisme, les effets de cette jurisprudence pourraient être neutralisés par le législateur à brève échéance. SA/JB
10 octobre 2024
Nous sommes particulièrement fiers d’accueillir au sein de notre équipe deux nouveaux maillons. 🎉🎉🎉