Concession: appréciation des offres à une date antérieure à celle initialement fixée

Rappelons, à titre liminaire, qu'il ressort de l'article 46 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 que pour les contrats de concession, et ainsi pour les contrats de délégation de service public, les autorités concédantes ont la faculté  d’organiser une négociation avec un ou plusieurs candidats. La limite posée demeure que "la négociation ne peut porter sur l'objet de la concession, les critères d'attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation"

C'est dans le cadre d'une telle négociation que s'inscrit la jurisprudence ici abordée, rendue par le Conseil d'Etat le 8 novembre 2017*. La doctrine considérait que les dispositions issues de l'ordonnance étaient "relativement lapidaires, ce qui renforce la nécessité de s'appuyer sur la jurisprudence (...) dans l'attente de décisions prises par les juridictions sur leur fondement"**. Gageons que cette décision contribuera à apporter une nécessaire clarification.

La métropole de Lille a lancé une procédure de publicité et de mise en concurrence en vue de l’attribution d’une concession pour l’exploitation du service public de transports urbains de personnes.

Au cours des négociations avec deux sociétés candidates, une clef USB contenant des informations confidentielles sur la société Keolis a été transmise par erreur par la métropole à la société Transdev. Ce faisant la Métropole de Lille manquait aux obligations lui incombant au regard de l'article 38 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 selon lequel "l'autorité concédante ne peut communiquer les informations confidentielles qu'elle détient dans le cadre du contrat de concession, telles que celles dont la divulgation violerait le secret en matière industrielle et commerciale ou pourrait nuire à une concurrence loyale entre les opérateurs économiques".

S’apercevant que la clé USB contenait un dossier de fichiers informatiques intitulé « Keolis », la société Transdev en a averti la métropole.

La métropole a renoncé à recueillir les offres finales des deux sociétés et a finalement choisi le concessionnaire au regard de l’état des offres intermédiaires à la date de la divulgation des informations, modifiant ainsi, en cours de route, le déroulement de la procédure tel qu’il avait été initialement prévu par le règlement de consultation.

La société Transdev, à qui la société Kéolis a été préférée, estimant que la métropole avait porté atteinte à l’égalité des candidats et aux obligations de transparence auxquelles est soumise la passation d’un contrat de concession, a engagé devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille un référé-précontractuel afin d’empêcher la signature du contrat. Rejetée en première instance, la société Transdev se pourvoi en cassation.


Le Conseil d'Etat rappelle en premier lieu que: " ni les dispositions des articles L. 1411-1 et suivants du code général des collectivités territoriales ni celles de l’ordonnance du 29 janvier 2016 et du décret du 1er février 2016 pris pour son application ne font obligation à l’autorité délégante de définir, préalablement à l’engagement de la négociation, les modalités de celle-ci ni de prévoir le calendrier de ses différentes phases ; "

Ce faisant la haute juridiction précise que rien n'oblige l'autorité délégante à fixer préalablement les modalités de la négociation ou le calendrier de celle-ci. La jurisprudence avait déjà, par le passé, fait la même appréciation. En effet, le Conseil d'État avait jugé qu'aucune règle ni aucun principe n'encadre la phase de négociation : pas de calendrier, ni d'obligation de faire connaître les motifs du choix de ne pas poursuivre des négociations. 

- En ce sens:
CE, 18 juin 2010, no 336120, Communauté urbaine de Strasbourg, Rec. CE tables 2010, p. 847, AJDA 2010, p. 1233

Elle prend toutefois soin de préciser dans un second temps que : "toutefois, dans le cas où l’autorité délégante prévoit que les offres seront remises selon des modalités et un calendrier fixé par le règlement de consultation qu’elle arrête, le respect du principe de transparence de la procédure exige en principe qu’elle ne puisse remettre en cause les étapes essentielles de la procédure et les conditions de la mise en concurrence ; qu’à cet égard, lorsqu’un règlement de consultation prévoit que les candidats doivent, après une phase de négociation, remettre leur offre finale à une date déterminée, cette phase finale constitue une étape essentielle de la procédure de négociation qui ne peut normalement pas être remise en cause au cours de la procédure ;"

Le Conseil d'Etat fait ici une mention implicite à l'adage latin « Tu patere legem quam ipse fecisti ». En d‘autres termes, « Souffre la loi que tu as faite toi-même ». La personne publique n'a, certes, pas l'obligation de fixer un calendrier et les modalités de la négociation. Pour autant, elle doit respecter le calendrier et les modalités qu'elle fixe. 

Néanmoins, le juge de cassation a finalement, considéré "qu’il appartient à l’autorité délégante de veiller en toute hypothèse au respect des principes de la commande publique, en particulier à l’égalité entre les candidats ;" 

Ainsi, il fait une exacte appréciation de l'article 1er de l'ordonnance du 29 janvier 2016: "Les contrats de concession soumis à la présente ordonnance respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures."

Mettant en perspective le principe d'égalité entre les candidats et les règles que la personne publique s'est elle-même fixée, le Conseil d'Etat fait l'appréciation suivante des faits : "il ressort en l’espèce des éléments de la procédure soumise au juge des référés que la décision par laquelle la métropole européenne de Lille a modifié le déroulement de la procédure, en renonçant à recueillir les offres finales des soumissionnaires et en s’engageant à prendre en considération, pour le choix de l’attributaire, l’état des offres à la date du 19 mai 2017, a été prise pour remédier à la transmission par erreur, ce 19 mai 2017, à la société Transdev de documents relatifs à la négociation menée entre la métropole et la société Keolis et aux éléments de l’offre de cette dernière ; que cette divulgation à l’un des candidats de documents se rapportant à l’offre de son concurrent était de nature à nuire à la concurrence entre les opérateurs et, dans les circonstances de l’espèce, à porter irrémédiablement atteinte à l’égalité entre les candidats, dans le cadre de la procédure en cours comme dans le cadre d’une nouvelle procédure si la procédure de passation devait, à brève échéance, être reprise depuis son début ; que la décision de la métropole, consistant à figer l’état des offres à la date de la divulgation, a entendu pallier cette atteinte à l’égalité entre les candidats ; qu’à cette date, les négociations avaient donné lieu à de nombreux échanges entre la métropole et les candidats qui avaient disposé d’un délai suffisant, et strictement identique, pour présenter leurs offres ;"

Ainsi le Conseil d'Etat juge qu’à la date où les documents concernant la société Keolis ont été divulgués par erreur à la société Transdev, retenue par la métropole pour figer l’état des offres, les négociations avaient donné lieu à de nombreux échanges entre la métropole et les candidats qui avaient disposé d’un délai suffisant, et strictement identique, pour présenter leurs offres : huit réunions, dont une séance de présentation de l’offre initiale aux élus et aux services de la métropole, trois réunions plénières de négociations et quatre journées d’ateliers thématiques, ainsi que de nombreux échanges écrits. Et, dans ces conditions, la haute juridiction confirme en cassation le rejet, par le juge des référés du tribunal administratif de Lille, du référé-précontractuel engagé par la société Transdev. 

Cette décision apparait logique mais discutable.

En effet, l'erreur de la Métropole de Lille demeure problématique en ce que les sociétés soumissionnaires n'ont pas pu organiser leur négociation comme elle l'imaginaient initialement. Cependant l'annulation de la procédure et la la passation d'un nouveau contrat fausserait complètement le libre jeu de la concurrence avec une société connaissant des données confidentielles sur sa concurrente. Le Conseil d'Etat a ainsi fait preuve de pragmatisme. 

Cette jurisprudence a fait l'objet d'une publication spécifique du Conseil d'Etat et de la direction des affaire juridiques de BERCY elle devrait donc venir préciser un peu plus les dispositions de l'ordonnance du 29 janvier 2016. 

*CE, 8 novembre 2017, Société Transdev, n° 412859
** LAMY DROIT PUBLIC DES AFFAIRES p.4176

par AVALLONE Sébastien 2 juillet 2025
Par un arrêt rendu le 30 juin 2025 n° 494573,, le Conseil d’Etat opère un revirement de jurisprudence en forme d'importante clarification en matière d’appréciation du respect des délais de recours gracieux. Il estime que : « Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi. Il en va de même pour apprécier si un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, a pour effet de conserver ce délai. » Par cette évolution jurisprudentielle, le Conseil d’État a tranché une incertitude persistante : lorsqu’un recours gracieux est formé, la date d’expédition – et non celle de réception – doit être prise en compte pour apprécier s’il interrompt valablement le délai de recours contentieux. Cette position aligne le régime du recours administratif préalable sur celui du recours contentieux, où le cachet de la poste fait foi. Elle marque une volonté de protection accrue du droit au recours, au prix d’un nouveau déséquilibre en défaveur de la sécurité juridique. Un bouleversement concret pour la purge des recours Jusqu’alors, un recours gracieux reçu hors délai n’avait pas d’effet interruptif, ce qui contribuait à sécuriser les autorisations d’urbanisme, notamment au moment de la délivrance du certificat de non-recours. Ce repère est désormais fragilisé. Désormais, un recours expédié dans le délai mais reçu après son expiration prorogera valablement le délai contentieux. En pratique, cela signifie que les porteurs de projet, les notaires et les services instructeurs ne peuvent plus se fier uniquement à la date de réception pour évaluer la purge. Or, l’aléa inhérent aux délais d’acheminement postal rend cette évaluation délicate avec certitude. Une incertitude qui s’ajoute à d’autres. Cette évolution vient accroître une insécurité juridique déjà alimentée par plusieurs facteurs bien connus : • les demandes d’aide juridictionnelle en cours au moment de l’affichage ou de la délivrance du certificat de non-recours, • les affichages irréguliers de permis de construire, souvent mal identifiés, Ces éléments, cumulés, rendent la tâche des notaires plus complexe et alimentent les inquiétudes des professionnels, confrontés à la nécessité de lancer la commercialisation dans un contexte juridique incertain. Si la décision du Conseil d’État repose sur une logique juridique cohérente — prise en compte des disparités territoriales, incertitude des délais postaux —, elle déséquilibre davantage les relations entre requérants potentiels et bénéficiaires de permis de construire. Elle consacre la prépondérance du droit au recours sur le droit à la sécurité juridique, ce qui constitue un tournant défavorable pour les professionnels de l’immobilier et les collectivités. Certains confrères se réjouiront sans doute de ne plus voir leurs recours gracieux écartés pour cause d’envoi à la dernière minute. Mais cela n’allège en rien la pression liée au respect des délais. En effet, si l’on peut désormais expédier un recours jusqu’à la dernière heure via le site de La Poste, l’angoisse du délai manqué reste intacte. Les solutions de repli existantes — dépôt en main propre, ou à défaut recours contentieux via Télérecours — conservent leur pertinence. Il est permis de s’interroger : une solution plus nuancée, tenant compte du délai raisonnable d’acheminement, n’aurait-elle pas permis un équilibre plus juste ? Enfin, cette incertitude pourrait n’être que temporaire. Le Sénat examine actuellement une proposition de loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement. Selon les arbitrages retenus, notamment quant à la non-prorogation des délais de recours contentieux par les recours gracieux en matière d’autorisations d’urbanisme, les effets de cette jurisprudence pourraient être neutralisés par le législateur à brève échéance. SA/JB
10 octobre 2024
Nous sommes particulièrement fiers d’accueillir au sein de notre équipe deux nouveaux maillons. 🎉🎉🎉