Urbanisme : Le Gouvernement durcit les conditions d’accès au juge administratif

Modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme : le Gouvernement durcit les conditions d’accès au juge administratif en matière de contentieux de l’urbanisme

 


Par Sébastien AVALLONE, Avocat au barreau de Montpellier, Doctorant en droit Public à la Faculté de droit et Science Politique de Montpelier
Et Marion CONSTANTINIDES, Avocat au Barreau de Montpellier

 

 

 

Déjà en 2013, l'ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 « relative au contentieux de l'urbanisme » trouvait son origine dans le souci du gouvernement de ne pas aborder le débat relatif au projet de loi « ALUR » (« projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové ») sans apporter des réponses aux préoccupations que depuis quelques années des parlementaires de tous bords expriment sur le thème des « recours abusifs » contre des autorisations individuelles et des retards, souvent fort substantiels que ces recours entraînent dans la réalisation des projets de construction de logements. »
(V. D. LABETOULLE Une nouvelle réforme du droit du contentieux de l'urbanisme, RDI 2013 p.508)

Le Sénat ayant commencé, ce 16 juillet 2018, l’examen du projet de loi ELAN, le Gouvernement a eu à cœur de limiter une nouvelle fois l’impact du contentieux contre les autorisations d’urbanismes sur la construction de logement. Dans un décret reprenant certains points du rapport Maugüé rendu public le 11 janvier dernier, il complexifie davantage le contentieux des autorisations de l’urbanisme.

Gageons que les objectifs du décret n°2018-617 du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme (parties réglementaires) vont dans le même sens que ceux ayant conduit à l’adoption de la réforme de 2013. Il s’agit une nouvelle fois d’une action en vue de « modifier le comportement des acteurs » du contentieux de l’urbanisme (V. D. LABETOULLE,
Contentieux de l'urbanisme : « il faut modifier le comportement des acteurs », AJDA 2013 p.1188).

En outre, les nouvelles dispositions issues du décret du 17 juillet 2018, s’inscrivent pleinement dans la perspective de réduction du délai moyen de jugement prévu dans le projet annuel de performance de la loi de finances pour 2018. En effet, le délai de jugement moyen devant les tribunaux administratifs est fixé comme devant atteindre 10 mois à l’horizon 2020 quand il est actuellement de 10 mois et 15 jours et qu’il doit atteindre 10 mois et 8 jours en 2018. (V. 
https://www.performance-publique.budget.gouv.fr). C’est donc logiquement que le nouvel article R.600-6 du code de l’urbanisme applicable à partir du 1er octobre 2018 prévoit un délai de jugement de dix mois sur les recours contre les autorisations d’urbanisme. Délai de dix mois qui est supposé régir également les instances d’appel.

Dans la pratique, ces dispositions seront autant de chausse-trapes permettant de rendre plus aisée la défense des pétitionnaires et, complexifiant plus globalement le contentieux administratif.
 

  • Le rôle accru du juge des référés

L’article L.521-1 du code de justice administrative prévoit la faculté pour le juge de suspendre les effets d’une décision administrative « lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ». Ledit article maintient une nuance quant à la valeur de cette décision prise « en l’état de l’instruction ».
Le décret du 17 juillet 2018 intègre dans un chapitre du code de justice administrative nouvellement intitulé « la confirmation de la requête, la régularisation et la mise en demeure », un article R.615-5-2 selon lequel «  En cas de rejet d'une demande de suspension présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, il appartient au requérant, sauf lorsqu'un pourvoi en cassation est exercé contre l'ordonnance rendue par le juge des référés, de confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce rejet. A défaut, le requérant est réputé s'être désisté. ». Ledit article sera applicable aux requêtes à fin d’annulation ou de réformation enregistrées à compter du 1er octobre 2018.
Ainsi, un rejet pour défaut d’urgence ne saurait entrainer de désistement automatique pour défaut de confirmation du maintien de la requête au fond. Pour autant, il y a lieu de penser que ces dispositions entraineront de fait un nombre certain de désistements tacites. Elles font donc peser un rôle accru sur le juge des référés qui, en ne relevant pas de moyen propre à créer un doute sérieux au terme d’une instruction rapide, est susceptible de faire disparaitre une partie du contentieux.

  • Le nouvel article R.600-4 du code de l’urbanisme et l’obligation de justifier de sa qualité pour agir au stade de la requête

A peine d’irrecevabilité, les recours dirigés contre une décision relative à l’occupation ou l’utilisation régie par le code de l’urbanisme doivent désormais être accompagnés d’un document (acte notarié, bail, promesse de vente, …) de nature à établir le caractère régulier de l’occupation ou de la détention du bien par le requérant.
Ce nouvel article vient compléter les dispositions de l’article L.600-1-2 en obligeant désormais les requérants à prouver au stade de la requête la régularité de la détention ou de l’occupation de leur bien.
Reste que l'atteinte directe portée par les projets aux conditions d'occupation d'utilisation ou de jouissance des biens des requérants devra toujours être démontrée.
De la même manière, et sous peine d’irrecevabilité, les associations devront impérativement produire à l’appui de leur requête leur statut et le récépissé de déclaration à la Préfecture.
Reste à identifier si cette irrecevabilité est susceptible d’être régularisée en cours de procédure. Si tel est le cas, elle n’apporterait pas de grande nouveauté aux possibilités d’argumentation en défense au visa de l’article L.600-1-2. A contrario, si cette irrecevabilité n’est pas régularisable, il y a lieu de penser qu’elle privera nombre de particuliers d’un accès au juge dans le cadre du recours pour excès de pouvoir, ce dernier n’exigeant pas de ministère d’avocat.

  • Un encadrement plus restrictif du débat en recours pour excès de pouvoir contre les autorisations d’urbanisme

Dans l’optique d’accélérer la procédure devant les juridictions administratives, le Décret du 17 juillet 2018 a introduit un article R.600-5 au code de l’urbanisme et va plus loin dans le mécanisme de cristallisation des moyens.
Là où l’article R.600-4 (issu du Décret n°2013-879 du 1er octobre 2013) prévoyait la possibilité de saisir le juge administratif d’une demande motivée afin qu’il fixe une date à partir de laquelle les moyens nouveaux ne pouvaient plus être invoqués, le nouvel article R.600-5 pose le principe selon lequel les moyens nouveaux ne peuvent plus être invoqués passé un délai de deux mois après la communication du premier mémoire en défense.
Entre temps, l’article R.611-7-1 du code de justice administrative (issu du Décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016) avait donné plus grande latitude au juge administratif en prévoyant la possibilité, si l’affaire était en état d’être jugée, de fixer une date à partir de laquelle les moyens nouveaux ne pouvaient plus être invoqués.
Désormais, et par dérogation à l’article précité, la cristallisation des moyens devient automatique. L’office du juge se trouvera de fait simplifié en évitant des débats où les requérants distilleraient de manière épisodique leurs moyens.
 

  • La diminution du délai permettant les recours (tardifs) contre les autorisations d’urbanisme

Lorsque l’affichage de l’autorisation d’urbanisme n’a pas été effectué ou, n’a été effectué que de manière incomplète, le délai de recours de deux mois de l’article R.600-2 ne peut commencer à courir. De sorte que le recours pourrait théoriquement être engagé sans condition de délai à l’encontre de ladite autorisation.
Reste que la juridiction administrative tient compte de l’impératif « de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps ».
(En ce sens : CE 13 juillet 2016 n°387763).
Dans la même dynamique, l’article R.600-3 prévoyait qu’aucune action en vue de l'annulation d’une autorisation d’urbanisme n'est recevable à l'expiration d'un délai d'un an à compter de l'achèvement de la construction ou de l'aménagement.
Ce délai est désormais réduit à 6 mois au même titre que celui prévu par l’article L.600-1 du code de l’urbanisme pour soulever une exception d’illégalité tirée un vice de forme ou de procédure entachant le Plan Local d’Urbanisme.
 

  • La prolongation du mécanisme de suppression de l’appel en zone tendue

Alors que le rapport du 11 janvier 2018 préconisait que soit tiré un bilan de la suppression de l’instance d’appel pour les litiges portant sur une autorisation de construire un logement en zone tendue, le décret a prorogé ce mécanisme jusqu’au 31 décembre 2022.


par AVALLONE Sébastien 2 juillet 2025
Par un arrêt rendu le 30 juin 2025 n° 494573,, le Conseil d’Etat opère un revirement de jurisprudence en forme d'importante clarification en matière d’appréciation du respect des délais de recours gracieux. Il estime que : « Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi. Il en va de même pour apprécier si un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, a pour effet de conserver ce délai. » Par cette évolution jurisprudentielle, le Conseil d’État a tranché une incertitude persistante : lorsqu’un recours gracieux est formé, la date d’expédition – et non celle de réception – doit être prise en compte pour apprécier s’il interrompt valablement le délai de recours contentieux. Cette position aligne le régime du recours administratif préalable sur celui du recours contentieux, où le cachet de la poste fait foi. Elle marque une volonté de protection accrue du droit au recours, au prix d’un nouveau déséquilibre en défaveur de la sécurité juridique. Un bouleversement concret pour la purge des recours Jusqu’alors, un recours gracieux reçu hors délai n’avait pas d’effet interruptif, ce qui contribuait à sécuriser les autorisations d’urbanisme, notamment au moment de la délivrance du certificat de non-recours. Ce repère est désormais fragilisé. Désormais, un recours expédié dans le délai mais reçu après son expiration prorogera valablement le délai contentieux. En pratique, cela signifie que les porteurs de projet, les notaires et les services instructeurs ne peuvent plus se fier uniquement à la date de réception pour évaluer la purge. Or, l’aléa inhérent aux délais d’acheminement postal rend cette évaluation délicate avec certitude. Une incertitude qui s’ajoute à d’autres. Cette évolution vient accroître une insécurité juridique déjà alimentée par plusieurs facteurs bien connus : • les demandes d’aide juridictionnelle en cours au moment de l’affichage ou de la délivrance du certificat de non-recours, • les affichages irréguliers de permis de construire, souvent mal identifiés, Ces éléments, cumulés, rendent la tâche des notaires plus complexe et alimentent les inquiétudes des professionnels, confrontés à la nécessité de lancer la commercialisation dans un contexte juridique incertain. Si la décision du Conseil d’État repose sur une logique juridique cohérente — prise en compte des disparités territoriales, incertitude des délais postaux —, elle déséquilibre davantage les relations entre requérants potentiels et bénéficiaires de permis de construire. Elle consacre la prépondérance du droit au recours sur le droit à la sécurité juridique, ce qui constitue un tournant défavorable pour les professionnels de l’immobilier et les collectivités. Certains confrères se réjouiront sans doute de ne plus voir leurs recours gracieux écartés pour cause d’envoi à la dernière minute. Mais cela n’allège en rien la pression liée au respect des délais. En effet, si l’on peut désormais expédier un recours jusqu’à la dernière heure via le site de La Poste, l’angoisse du délai manqué reste intacte. Les solutions de repli existantes — dépôt en main propre, ou à défaut recours contentieux via Télérecours — conservent leur pertinence. Il est permis de s’interroger : une solution plus nuancée, tenant compte du délai raisonnable d’acheminement, n’aurait-elle pas permis un équilibre plus juste ? Enfin, cette incertitude pourrait n’être que temporaire. Le Sénat examine actuellement une proposition de loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement. Selon les arbitrages retenus, notamment quant à la non-prorogation des délais de recours contentieux par les recours gracieux en matière d’autorisations d’urbanisme, les effets de cette jurisprudence pourraient être neutralisés par le législateur à brève échéance. SA/JB
10 octobre 2024
Nous sommes particulièrement fiers d’accueillir au sein de notre équipe deux nouveaux maillons. 🎉🎉🎉